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Doctor Doom : Infamous

Chronique écrite pour l'émission Aleph sur la Radio666

Sans antagoniste d'envergure, impossible de créer un chef d'oeuvre. Dark Vador, Dracula, le Fantôme de l'Opéra, Voldemort, Wile E. Coyote... Une bonne histoire, c'est avant tout un bon méchant. Et l'Histoire de Marvel est irrémédiablement liée à celle des Quatre Fantastiques. Et si Marvel devait tout à la Nemesis des FF ? Et si la pierre angulaire du comics moderne n'était autre que l'ennemi qui relie à travers les époques les Fantastiques, les Vengeurs, les X-Men et Squirrel Girl ? S'il est bien un personnage - que dis-je, un symbole - qui mérite un peu d'amour, c'est bien le plus héroïque de tous les vilains, celui qui se situe à la croisée des chemins, entre la magie et la science, entre la noblesse et la vulgarité, entre la folie et le génie : le Docteur Fatalis.

Dr Doom

Pour le numéro 5 de Fantastic Four (1962), Stan Lee et Jack Kirby créent un vilain qui deviendra l'un des méchants les plus iconiques de l'univers Marvel. Le Docteur Fatalis, ancienne connaissance de Reed Richards à la fac, kidnappe Susan Storm et force les FF à récupérer des gemmes de pouvoir de Merlin au temps des pirates, grâce à sa machine à remonter le temps. Stan Lee choisit le nom de Docteur Fatalis, ou Doom en V.O, un mot que l'on peut traduire par "destin macabre", et qui sonne comme une explosion sourde ou un coup massif sur un tambour de guerre. Un nom "éloquent de simplicité mais magnifique dans sa menace sous-jacente" selon Lee. Kirby le dessine en version métallique de la Mort, avec un masque grimaçant et un capuchon. Les origines sont encores floues, et ne seront développées qu'ensuite et par pointillés, d'abord 2 ans plus tard par Lee et Kirby dans le second Annual de la série, puis par John Byrne dans FF #278 (1985), par Roger Stern dans Marvel Graphic Novel #49 (1989) et Ed Brubaker dans Books of Doom (2006).

Victor est né en Latvérie, un pays pauvre d'Europe de l'Est. Sa mère Cynthia était une sorcière gitane Zefiro, son père Werner un guérisseur. Tous les deux meurent alors que Victor est encore un enfant. Werner, poursuivi par la milice locale, meurt de froid dans la campagne Latvérienne en protégeant Victor de son corps, tandis que sa mère se retrouve damnée en enfer après une transaction avec Mephisto. Victor se jure alors de les venger, et pour cela, il doit devenir plus puissant que ses adversaires : le roi Vladimir Fortunov responsable de la mort de son père et le diable lui-même. Jeune scientifique brillant, il part étudier en Amérique, où son chemin croise celui de Reed Richards et Ben Grimm. Déjà versé dans les rites Zefiro, Victor utilise les laboratoires universitaires pour construire une machine mêlant science et magie, dans le but de sauver l'âme sa mère. Victor est déjà très arrogant, et il ignore les alertes de Reed à ses dépends. La machine explose, le défigurant gravement et provoquant son expulsion de l'université. Dans un accès de rage, Victor rend Reed responsable de tous ses maux, l'accusant du sabotage de la machine.

Amer, humilié et défiguré, Victor Von Doom fuit et cherche un autre moyen d'avoir sa vengeance. Il finit dans un monastère tibétain où il complète sa formation magique. Dans certains univers parallèles de Marvel (comme la terre 938), il devient même le Sorcier Suprême. Avec l'aide des moines mystiques, il forge une armure de métal digne de celle d'Iron Man et protégée par de puissants sortilèges. Il y a une controverse qui dure depuis des années autour du visage de Doom : selon certains, l'explosion de sa machine ne l'aurait pas défiguré, et sa propre perception de sa laideur était avant tout psychologique, jusqu'au moment où il appliqua son masque métallique encore rougeoyant sur sa face, brûlant définitivement ses traits. Quoi qu'il en soit, Victor s'enferme dans son armure et le masque de fer devient son nouveau visage, symbole de sa rage et de sa nouvelle vie en quête de pouvoir.

Doom au Tibet

Très vite grâce à sa nouvelle armure, Victor dépose le roi Vladimir et se proclame roi de Latvérie. Son père est vengé rapidement, et faute de pouvoir attaquer le diable frontalement, il se tourne vers l'humain suivant : Reed Richards, désormais leader des Quatre Fantastiques. C'est le début d'une rivalité qui dure depuis 50 ans, au cours de laquelle un certain respect mutuel s'installe. Car même s'ils se détestent, les deux hommes sont bien obligés de reconnaître le génie de l'autre, à tel point que Richards en viendra à lui confier sa fille Valeria, nommée en honneur de l'amour de jeunesse de Victor. Si ça ce n'est pas de la bromance...

Il serait trop long de retracer tous les affrontements entre les FF et Doom, le docteur étant partout dans l'histoire de Marvel. Le vilain est à la famille ce que le Joker est à Batman, ce que Lex Luthor est à Superman, ou ce que Magneto est au X-Men. A tel point que toutes les adaptations cinéma des FF sans exception, de Roger Corman à Josh Trank en passant par Tim Story, tournent autour de Doom. Malheureusement, la majorité des auteurs ne voient en lui qu'une figure grand-guignolesque sans comprendre la profondeur de l'homme derrière le masque. En y regardant d'un peu plus près, on peut voir émerger des failles dans l'armure avec des thèmes récurrents. Dans FF #57, il siphonne les pouvoirs cosmiques du Surfeur d'Argent pour disposer de la puissance nécessaire à battre les FF. Il est battu lorsqu'il perd bêtement ce pouvoir... par étourderie. Durant les Guerres Secrètes de 1985, Victor finit avec les pouvoirs du Beyonder. Alors tout puissant, il est battu... par son propre subconscient. Dans Marvel Graphic Novel #27 (1987), Doom devient l'empereur de toute la Terre grâce au pouvoir de l'Homme Pourpre, et abandonne le titre... par ennui. Dans Secret Wars (2015), il perd ses pouvoirs divins... en admettant que Richards les mérite davantage.

En introduction, je vous parlais des grands méchants qui font une saga. A ce stade, pas la peine je pense d'expliquer le lien avec Dark Vador, Voldemort ou le Fantôme de l'Opéra. Doom, comme Dracula, vit dans son château, craint de ses sujets, et absorbe l'énergie des malheureux qui s'aventurent dans son antre protégée de sorts noirs. Toutefois ses plans ont tendance à se terminer comme ceux du Coyote. Oh il a beau dire qu'il veut imposer la paix et la prospérité au monde entier, qu'il le veuille ou non, au final on sent qu'il ne cherche pas vraiment à l'attraper ce Roadrunner, et insconsciemment ses plans tarabiscotés ne sont pas faits pour réussir... Souvent cela se termine par un air déconfit et une énième explosion dans le lointain.

Mais attention, Victor Von Doom n'en est pourtant pas pour autant un vilain ridicule comme Batroc ou l'Homme Taupe. Malgré ses échecs répétés, c'est une terreur. Lorsque les méchants Thunderbolts de Jeff Parker, pourtant pas la bande à Jojo le Rigolo, sont projetés à l'ère Pliocène et sauvent un type à poil de requins Megalodons qui allaient en faire leur goûter, que ce type s'avère être un Victor Von Doom démuni, leur premier réflexe est de se dire "Oh merde !". Doom est un scientifique génial et un maître des arcanes, capable de mener des armées de zombies contre Camelot et Iron Man dans Doomquest (1981), d'affronter des Célestes (FF, 2012), avec une volonté capable de tenir la Cabale de Loki et Norman Osborn en respect (Dark Avengers, 2009) et de recréer le multivers (Secret Wars, 2015). C'est aussi un homme torturé par son passé, au destin maudit et à l'amour meurtri, qui cherche à donner au peuple Latvérien et au monde la sécurité et la prospérité qui lui ont été refusées dans son enfance. Dans l'utopie qu'il s'est créé en 2015, il s'est avant tout entouré d'une famille et d'amis, dévoilant un petit coeur qui bat sous cette carapace de métal.

Son nouvel échec comme Dieu vivant (relatif, il a quand même sauvé le multivers de l'implosion), a récemment poussé Victor Von Doom a réaliser que le pouvoir en soit n'est pas ce qu'il recherche au final. A l'issue de Civil War II, il se lance dans une nouvelle carrière : être le nouvel Iron Man. Dans cette série lancée à l'arrêt International Iron Man, Brian Bendis et Alex Maleev font le lien entre le présent de Marvel et les origines de Doom. A l'heure actuelle seuls 4 épisodes sont sortis aux U.S, et comme dans tout comics de Bendis l'intrigue avance lentement. Il nous faudra encore attendre quelques mois pour voir où se dirige ce nouveau Victor Von Doom, désormais héros de son plein gré.

Infamous Iron Man #1

Posté par Leto le 04/02/2017

De l'influence de H.P. Lovecraft sur le Mignolaverse

Chronique écrite pour l'émission Aleph sur la Radio666

Il y a un peu plus de 20 ans, une poignée d'artistes lassés d'être lésés par Marvel et DC décident de quitter les Big Twos pour un lancer une vague de titre en creator-owned. Si je vous dis ça, vous pensez à qui ? A Image Comics probablement. Et pourtant c'est en 1994 et sous le label Legends de Dark Horse que sortent les Germes de la Destruction, la première aventure de Hellboy. Cette première mini-série de 4 épisodes, publiée il y a 22 ans, a un nom prémonitoire, car elle contient déjà dans cet embryon tout le code génétique du futur Mignolaverse. Et Mike Mignola en a toujours reconnu le père spirituel : H.P. Lovecraft.

Mike Mignola s'est d'abord fait connaître comme dessinateur, avec son style cubiste et son utilisation des ombres pour sublimer les formes. Il a percé chez Marvel au début des années 1980, sur Daredevil, Power Man and Iron Fist, puis The Incredible Hulk et Alpha Flight. Ce passage chez Marvel est aujourd'hui mythique, en particulier pour sa collaboration avec Bill Mantlo en 1985 sur la première mini-série Rocket Raccoon où apparait le raton-laveur de l'espace. Puis Mignola part chez DC, où il signe les dessins de l'Odyssée Cosmique de Jim Starlin ou de Gotham by Gaslight avec Brian Augustyn. Lorsqu'il lance Hellboy en 1994, Mike Mignola manque encore de confiance en ses talents d'auteur. Mais passés les Germes de la Destruction qu'il fait co-écrire par John Byrne, il se libère de ses complexes et devient scénariste à part entière, d'abord pour ses propres illustrations, puis pour d'autres dessinateurs. Il construit alors chez Dark Horse un univers complet, de mini-série en mini-série, partagées entre divers titres. Les personnages s'y croisent, certes, mais le vrai lien qui cimente cet univers c'est son atmosphère, inspirée des auteurs favoris de Mike Mignola : Robert Howard, Edgar Alan Poe, et H.P. Lovecraft.

Comme Poe, Mignola écrit des récits d'horreur cultivés. Il est d'ailleurs passionné de mythes et de légendes du monde entier, et en particulier de la vieille Europe. Plutôt que d'utiliser des ressorts narratifs sensationnels, comme par exemple des mains squelettiques qui attrapent les chevilles du héros, Mignola préfère une approche plus poétique, quasi tragique, en allant à la pêche aux légendes slaves ou yiddish. Ce ne sont alors pas les monstres qui sont horrifiques, mais leur destin et le sort qui leur est réservé par les gens "normaux". Le golem de l'histoire est en fait un chic type, et la Baba Yaga vit tranquille dans son coin de forêt (en mangeant des enfants, certes). Pour poser son ambiance, il n'hésite pas à intercaler en médaillon dans ses planches des détails du décor comme des camées :  statue d'ange déchu ou regard malsain d'un animal aux naseaux sanglants. Cette poésie gothique et sophistiquée c'est bien beau, mais bon à un moment il faut bien le castagner ce monstre. Et en terme d'action, rien ne vaut un bon Robert Howard. L'écriture de Mignola bascule alors de l’existentialisme de Poe au divertissement cinemascope et popcorn de Howard. L'épée est remplacée par une grosse main de pierre, la fourrure par un scaphandre étanche. Comme Howard, Mignola ne se refuse aucun style, et passe allégrement du Western à la lutte Mexicaine, la lucha libre, en passant par la bonne vieille castagne pulp contre des gorilles cyborg nazis ou un homoncule géant.  Ses personnages subissent alors l'aventure comme Conan ou Solomon Kane, elle leur tombe dessus sans qu'ils la recherchent spécialement, alors qu'ils viennent juste boire un coup tranquille. Pour ce qui est du fantastique cependant, c'est H.P. Lovecrat le patron. Le divertissement Pulp à la Howard s’efface alors pour laisser la place au surnaturel cosmique qui dépasse le simple héros et repousse les enjeux.

Qu'y a-t'il donc dans la sauce Lovecraft pour qu'elle attache autant au fond du cerveau de ce brave Mike, un homme au demeurant fort gentil et équilibré ? Ce sous-genre du Fantastique est appelé Cosmicisme, et il mélange supernaturel qui rend fou, civilisations anciennes et élements outre-terrestres. Dans l'horreur lovecraftienne, il y bien sûr le panthéon des Grands Anciens, ces créatures ancestrales au pouvoir inimaginable, souvent indescriptibles, dont la simple contemplation rend fou. Elles végètent généralement sur un autre plan d'existence, et leur incursions dans notre monde, un tentacule à la fois, sont le fruit de l'imprudence d'un agent humain envouté et imprudent qui n'a pas respecté les avertissements et qui amène nos civilisations modernes à la limite de l'extinction.  Mais il y a aussi d'autres thèmes récurrents que les monstres gélatineux et la folie, tels que l'irrévocabilité du  destin, la condamnation héréditaire pour des crimes commis par des aïeux, et la décadence de l'occident moderne, en particulier de la vieille campagne Anglaise...

L'ombre de Lovecraft plane sur toute l'oeuvre de Mignola, depuis son run sur le Phantom Stranger pour DC à Hellboy bien entendu, en passant par son adaptation avec Howard Chaykin du Cycle des Epées de Fritz Lieber, ou sur la mini-série Batman: The Doom that came to Gotham. Comme Mignola le dit lui-même : "Evidemment qu'il y a du Lovecraft dans mon boulot. Mais plutôt qu'une adaptation, j'essaie de faire mon truc à moi et quand on me demande où j'ai eu mes idées, je réponds allez lire Lovecraft [...] Lovecraft a eu une énorme influence sur moi. En gros toutes ses créatures sont aquatiques, et il n'y a rien de plus étrange pour moi que les méduses, où la façon de bouger des pieuvres. C'est quelque chose que je trouve vraiment dérangeant. [...] Mais le monstre à tentacule de Lovecraft c'est un cliché. Plein de comics réduisent Lovecraft à la même chose, oh non le gros monstre en caoutchouc va débarquer ! alors que Lovecraft se base sur l'ambiance, et les gens qui se focalisent sur le gros monstre ne voient qu'une partie de Lovecraft. [...] Je pense que H.P. Lovecraft a radicalement changé la littérature d'horreur d'après les Pulps, qu'il a planté le pieux final dans le coeur du vampire traditionnel, et que d'un coup les loups-garous et compagnie sont devenus presque pittoresques. [...] Lovecraft, et d'autres auteurs contemporains de Pulp comme William Hope Hodgson, avaient cette idée d'horreur cosmique, ce grand univers au delà de notre portée, opposé aux vampires, loups-garous et autres histoires de fantômes. J'adore ce truc. En créant mon univers, je voulais une présence cosmique. Lovecraft et ces autres types étaient mes influences pour ce machin cosmique. [...] Je fais attention toutefois de ne pas faire du Lovecraft. [...] J'adore ça, mais je voulais créer ma propre mythologie, mon truc cosmique à moi, inspiré par lui, mais sans référence à Cthulhu et autres".

Si vous avez vu le film Hellboy de Guillermo Del Toro de 2004, vous connaissez les bases de l'univers du Mignolaverse telles qu'elles ont été posées dans les Germes de la Destruction : vers la fin de la Seconde Guerre Mondiale, Adolf Hitler est obsédé par le supernaturel et recherche désespérément des armes occultes pour garantir la victoire des Nazis. Inspiré par l'idéologie de l'Ordre de Thulé dont il était membre, il lance le projet Ragna Rok qu'il confie à Grigori Rasputin et son équipe. Le plan de Raspoutine est de libérer l'Ogdru Jahad, une entité extra-dimensionnelle et destructrice, exilée depuis la création de la Terre. Dès les origines, Mignola flirte avec des thèmes chers à Lovecraft : le savoir scientifico-magique recherché par les Nazis qui conduit à leur perte, leurs notions raciales discutables, la créature apocalyptique à peine entre-aperçue par une brèche dans la réalité, ses émissaires humains qui parlent pour elle, le destin du petit Hellboy prédit par Raspoutine... Tout est là, et pourtant ce n'est que le début.

Depuis 1994, Mike Mignola a écrit de nombreuses séries sur Hellboy et son équipe du B.P.R.D. Attention cependant, il s'agit d'une publication très atypique de demande un peu d'organisation pour s'y retrouver. Je vais essayer de vous aider à y voir un peu plus clair. Plutôt que de lancer une série régulière sur Hellboy, ce qui était la norme à l'époque, Mignola a choisi dès le début d'opter pour des mini-séries de 4 ou 5 épisodes, songeant déjà aux rééditions en albums à l'européenne. C'est d'ailleurs ce qui arrive quand Delcourt publie les albums en France. En plus de ces premières mini-séries qui se suivent globalement, Mignola sort aussi des one-shots et publie des histoires courtes dans Dark Horse Comics Presents qui lui permettent de débrider sa plume baladeuse le temps d'un épisode à thème, à n'importe quelle époque de la vie de Hellboy, dans le plus grand désordre chronologique. Il sort même une mini-série appelée Hellboy : Histoires bizarres en hommage au magazine Weird Tales qui publia à l'époque les nouvelles de H.P Lovecraft et Robert Howard, où il invite divers artistes à dessiner ses créations, là encore à différentes époques. Ce foutoir narratif est un challenge pour le lecteur, dont la fidélité finit par être récompensée quand il dispose enfin de la succession des évènements dans le bon ordre. Je vous recommande d'ailleurs la lecture dans cet ordre de parution, bien plus stimulant. En 2002, après grosso modo sept albums, Mignola lance une première série spin-off de Hellboy sur le B.P.R.D., où il est assez rapidement rejoint par John Arcudi. Là aussi, la publication de fera par mini-séries successives, jusqu'à ce qu'Arcudi et Mignola se rendent à l'évidence et finissent par adopter une numérotation continue au 103ème épisode. C'est d'ailleurs la seule série du Mignolaverse avec Abe Sapien à être devenue ongoing, toutes les autres gardant le format mini-série, même Hellboy qui est publié sous une forme ou une autre depuis 1994. La collaboration avec Arcudi sur le B.P.R.D. se passe tellement bien que d'autres spin-off thématiques émergent rapidement : des mini-séries sur Lobster Johnson dans les années 1930, le justicier héros d'enfance de Hellboy et sur Edward Grey, l'enquêteur paranormal de la reine Victoria. D'une série à l'autre, Mignola va et vient dans le temps au gré de ses envies, pour peindre en pointillés le décor de fond de son univers. Il finit par déléguer l'écriture à proprement parler des séries spin-off pour n'en rester que le coordinateur afin de mieux se consacrer à Hellboy. Il s'entoure alors d'amis scénaristes à qui il confie ses bébés : son éditeur sur Hellboy, Scott Allie, devient l'auteur de la série Abe Sapien et de quelques arcs du B.P.R.D., Christopher Golden avec qui il a co-écrit des romans Hellboy participe à divers one-shots et Chris Roberson soulage Arcudi sur le B.P.R.D. Ensemble ils racontent des histoires de vampires, de démons, de sirènes, de shamans et de sorcières dans le monde de Hellboy, à l'image de la clique épistolaire de Lovecraft, le "Lovecraft Circle", qui comprenait d'autres auteurs pulp à succès comme Robert Howard, Clark Ashton Smith, ou Robert Bloch, et qui s'échangeaient des nouvelles situées dans l'univers de Lovecraft.

En parlant de Lovecraft, revenons à Hellboy en essayant de remettre les choses dans l'ordre subjectif des personnages (et non de parution). Dans la mini-série The Island de 2005, traduite dans l'album Le Troisième Souhait, Mignola raconte sa version de la Génèse : à l'origine, il y avait Dieu, et les Gardiens, des esprits protecteurs de la jeune Terre. L'un d'eux, Anum, vola le feu sacré de Dieu pour créer l'Ogdru Jahad, le Dragon du livre des Révélations, les sept dieux du chaos qui ne sont qu'un. L'Ogdru Jahad a alors produit 369 rejetons, les Ogdru Hem qui furent les premières vies difformes sur Terre. Horrifiés, les Gardiens se débarrassèrent des créatures et enfermèrent l'Ogdru Jahad dans en cercueil de cristal qu'il envoyèrent dans l'abysse, avant de tuer leur frère Anum. Après cette échec, les anges fratricides sont déchus, et une nouvelle forme de vie se répend sur Terre : les Hyperboréens, la première race d'hommes. Leur âge d'or dura 100 000 ans, durant lesquels ils apprirent à utiliser l'énergie Vril, le feu sacré de Dieu.  Cette connaissance se retournera aussi contre eux aux dernières heures de leur Empire, et seuls de rares élus survivront à l'émergence de l'homme moderne. Comme dans de nombreuses oeuvres de Lovecraft, le savoir est une malédiction qui condamne celui qui le recherche, soit à commettre des actes inconscients dans cette quête de connaissance et à être corrompu, soit à être détruit par les créations qui en résultent. La notion de civilisation pré-humaine est aussi présente chez Lovecraft, par exemple dans l'appel de Cthulhu où l'on retrouve les ruines de temples ancestraux aux inscriptions étranges.

Lovecraft est aussi fasciné par les société secrètes et leur rituels secrets. La Confrérie Héliopique de Râ ont fondée en 1729 dans le Mignolaverse, et elle regroupe des passionnés d'occultisme et de civilisations disparues qui se regroupent pour des séances de spiritisme et pour financer des expéditions maritimes vers l'Atlantide et Lemur. Ces charlatans et autres médiums de foire croiseront à de nombreuses reprises Sir Edward Grey, le Witchfinder (autre personnage a avoir ses mini-séries). Une branche rebelle de la Confrérie, la Société de Oannès du nom d'une divinité mésopotamienne, sera elle à l'origine de Abe Sapien. Le pauvre Abe n'apprendra que 140 ans plus tard dans l'album du B.P.R.D le Roi de la Peur que sa transformation de lord Anglais en homme poisson est liée à une prophétie le désignant héraut d'une nouvelle race dominante sur Terre : les Grenouilles que combattent le B.P.R.D. dans notre présent. Abe fera alors tout son possible pour rompre ce destin, sans succès, le destin étant irrévocable chez Lovecraft, toute échappatoire se refermant devant le protagoniste qui essaie de le fuir.

En parlant de créatures aquatiques maléfiques, Sir Edward Grey aura à cette époque des aventures dans les marais de l'Angleterre profonde. Dans Les Mystères d'Unland, le chasseur de sorcières de Sa Majesté enquête sur des meurtres surnaturels qui le conduisent à une secte locale, à une maladie étrange qui ronge des ouvriers dickensiens, à une femme poisson, à des anguilles géantes et à des questions sur la filiation d'autres personnages. Monstres aquatiques poisseux, malédiction bubonique et relations familiales douteuses dans la vieille campagne Anglaise, revoilà un cocktail tonique Lovecraft.

La série Lobster Johnson qui couvre les années 1930 du Mignolaverse marque une parenthèse dans l'horreur lovecraftienne. Il y a bien un épisode avec un cerveau géant flottant, mais le reste est plus orienté vers l'aventure que vers l'horreur. Le vril, cette énergie divine venant d'Hyperborée est de retour dans l'album Le Prométhée de fer, mais cette fois-ci elle est redécouverte par un scientifique qui l'utilise pour alimenter une armure de métal, nom de code Prométhée. D'autres savants fous recyclent des machines antiques d'Hyperborée dans Metal Monsters of Midtown, mais là encore il faut plus y voir l'esprit pulp, avec des machines de métal qui déambulent dans les rues de New York pendant que des policiers tirent dessus, cachés derrière les capots de leurs Ford model-A et que l'intrépide journaliste Jillie Rizzo cherche à démasquer les coupables dans la tradition du roman noir. La série n'est pour autant pas déconnectée du reste de Mignolaverse, car en plus d'introduire l'armure à énergie vril qui nous donnerera la série Sledgehammer 44, elle développe le mage Memnan Saa, Némésis de Lobster et ancien de la Confrérie Héliopique de Râ, ainsi que la Flamme Noire, un agent de l'Ogdru Jahad sur Terre. John Arcudi et Mike Mignola se servent des mini-séries Lobster Johnson pour avancer leurs pions incognito, et tout les trois (l'armure, le sorcier et la Flamme) auront une importance capitale plus tard dans la série B.P.R.D. Le danger pour le fan du Mignolaverse, c'est de se dire "suis-je vraiment intéressé par cette nouvelle série sans grand rapport a première vue avec Hellboy ?". Et la paf! ces deux pervers de Mignola et Arcudi en profitent pour vous glisser une révélation gigantesque dans un coin, deux ans avant l'exploiter dans une autre série, les salauds. Comme disait l'autre : le diable est dans les détails.

Passons aux années 1940. Après son apparition en 1944, Hellboy est pris en charge par le professeur Bruttenholm et passe quelques années dans une base militaire de l'Air Force au Nouveau Mexique. Il y a peu d'amis, comme les personnages de Lovecraft qui sont généralement solitaires. Il sera tout de même la mascotte de quelques bidasses survivants des mini-séries B.P.R.D.: 1946 et B.P.R.D.: 1947. Ces derniers ont été confrontés à des phénomènes paranormaux qui les ont marqués psychologiquement, là encore comme les personnages de Lovecraft dont la santé mentale s'effrite devant l'irréalité. En 1946, avec l'aide de Varvara, un démon à l'apparence de petite fille russe, ils empêchent les derniers Nazis de lancer leur dernier projet occulte, Vampir Sturm, qui vise à transformer l'humanité en vampires dans un dernier baroud d'honneur. Mais les vampires nazis de sont que de pâles copies sans esprit des vrais vampires nobles de Vladimir Giurescu, le vampire prusse dévoué à la déesse grecque Hécate, et que la bande du B.P.R.D. affronte en 1947. En 1948, ces soldats sont confrontés à des créatures monstrueuses sorties de déchirures spacio-temporelles provoquées par les premières bombes atomiques. L'ère scientifique moderne inquiétait aussi beaucoup Lovecraft. Il est mort en 1937, longtemps avant la première bombe atomique, mais la théorie de la relativité d'Einstein ne lui était pas inconnue, et elle a selon lui transformé le cosmos en plaisanterie.

Dans les années 50, Hellboy fait ses première missions en tant qu'agent du B.P.R.D. dans les séries Hellboy & B.P.R.D. publiées depuis 2014. La suite, on la connait déjà puisqu'elle a été paradoxalement pubiée avant, dans les toutes premières séries Hellboy de 1994 à 2001. Hellboy est rejoint par Liz Sherman en 1973 et par Abe Sapien en 1978, et le reste comme on dit c'es de l'Histoire. En 1994, dans les Germes de la Destruction, une étrange créature humanoïde aux allures de grenouille géante tue le professeur Bruttenholm dans son bureau, et lance Hellboy sur sa piste. Cette enquête l'amène à Cavendish Hall, la demeure d'une vieille famille Anglaise descendante d'un lord explorateur. Ce lord a découvert dans le cercle arctique l'un des Ogdru Hem, rejeton oublié de l'Ogdru Jahad à l'aube des temps. Sur place Hellboy retrouve aussi Raspoutine et ses sbires qui tentent de répéter le projet Ragna Rok de 1944 avec la créature tentaculaire et de libérer l'Ogdru Jahad pour détruire l'humanité. Bien entendu Hellboy bat Raspoutine et Liz incinère la créature, mais on n'écarte pas si facilement une menace Lovecraftienne, et des ruines de Cavendish Hall émergera des années plus tard la menace des Grenouilles.

C'est en 1995 qu'on apprend dans le one-shot le Cercueil Enchaîné que Hellboy n'est pas le fruit d'une expérience Nazie mais de l'union d'une sorcière Anglaise du démon Azzael, un démon majeur qu'elle a conjuré.  Avec une pierre, Mignola fait deux coups  dans les thèmes de Lovecraft : il combine les péchés hérités de sa mère décadente avec son destin inéluctable d'héritier de son père en enfer. Cet héritage lui est rappelé en 1997 dans la mini-série Au nom du Diable avec le vampire Giurescu (celui de B.P.R.D.:1947, tout est connecté), où un démon l'appelle par son vrai nom pour la première fois, "Anung Un Rama", et le destine à détruire la civilisation moderne. Hellboy refuse ce rôle et brise ses cornes dans un geste qui serait futile chez Lovecraft, mais qui curieusement chez Mignola marque la fin de cette prophétie. Les démons insisteront bien un peu par la suite, notamment son oncle Astaroth, mais rien à faire, Hellboy n'ira pas. Petit détail, Mignola invente un (ou des) langage(s) archaïque(s) utilisé(s) par les démons ou les nécromanciens humains encapuchonnés dans leurs incatations. Ce langage est évidemment inspiré des litanies étranges prononcées dans les oeuvres de Lovecraft par les cultiste de Cthulhu : Ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn.

Dès les origines en 1994, les monstres tentaculaires d'outre-dimension et leur minions humains étaient là. En 1999, le crossover Batman/Hellboy/Starman en remet une couche. En 2001, Mignola enfonce le clou dans la mini-série le Ver Conquérant (référence au poème d'Edgar Alan Poe), dans une histoire qui fait écho aux Germes de la Destruction. En 1939, les Nazis rentrent en contact avec une entité spatiale extra-terrestre maléfique. Ils sont arrêtés par Lobster Johnson, dont c'est la première apparition des années avant ses aventures rétro-actives, et Hellboy doit faire face dans notre présent à ce qui s'avèrera être un Ogdru Hem capable de libérer le Ogdru Jahad, lui aussi capable de transformer les humains en Grenouilles. L'histoire est marquante par l'apparence titanesque du Ver Conquérant, mais surtout parce qu'à son issue Hellboy décide de quitter le B.P.R.D. en réaction à la manière dont le Bureau a traité son ami Roger l'homoncule durant l'incident. C'est la fin de l'ère Lovecraftienne de Hellboy qui rentrera ensuite dans une ère plus axée sur les légendes celtes et le folklore russe (avec la sorcière Baba Yaga ou Koshei l'immortel dans L'Appel des ténèbres), entrainant Hellboy en Afrique puis en Angleterre ou il affronte la Chasse Fantastique dans La Grande Battue. Est-ce la fin de l’obsession de Mignola pour Lovecraft ? Que nenni ! Hellboy en est libéré, mais c'est le B.P.R.D qui récupère les Grenouilles et les Ogdru Hem, et qui doivent faire face à l'Enfer sur Terre.

A partir de 2002, après le départ de Hellboy du B.P.R.D., un ensemble de mini-séries est lancé sur le Bureau. Pour la première fois Mike Mignola abandonne le dessin, et invite des artistes à illustrer son imaginaire qu'il continue de scénariser. La première mini, Au creux de la Terre, nous présente le nouvel agent Johann Kraus, l'homme ectoplasmique arrivé ensuite dans le film Hellboy 2 : Les Légions d'or maudites de 2008. C'est aussi la première mention historique de l'Hyperborée et des créatures souterraines qui en descendent et qui vénèrent la Déesse Noire d'Hyperborée. Mais c'est en 2004 que les choses deviennent sérieuses pour le B.P.R.D avec la résurgence des Grenouilles. Quelque chose a survécu à Cavendish Hall, un reste du Ogdru Hem de Raspoutine, et ce fragment suffit à recréer un armée d'hommes Grenouilles. De 2004 à 2010, avec John Arcudi en co-scénariste et Guy Davis au dessin, le bureau tente d'éradiquer la menace en chassant les nids de Grenouilles dans toute l'Amérique du Nord, dans ce qui sera ensuite regroupé dans un omnibus sous le terme Le Fléau des grenouilles. Contrairement aux premières Grenouilles rencontrées à Cavendish Hall, cette nouvelle génération de Grenouille semble capable de communiquer, de contaminer les humains qu'elle mord, et semble même vouer un culte à l'Ogdru Hem qui les a créées, par des autels de chair et de sang de leurs victimes. Ce culte bizarre et ancestral à base de hiéroglyphes et de nécromancie nous ramène sur le territoire de Lovecraft. Retour aussi de l'humain qui croit pouvoir contenir un pouvoir interdit : Landis Pope est un cadre de Zinco, une entreprise louche déjà aperçue en lien avec des nazis dans le Ver Conquérant. Fasciné par l'occultisme nazi, Pope tente de contrôler les Grenouilles en se faisant passer pour la Flamme Noire, une entité en lien avec l'Ogdru Jahad et qui sera plus tard aperçue par le lecteur (rétro-activement) dans les années 30 et 40 dans Lobster Johnson. Cela se retournera évidemment contre Pope, lorsqu'en 2010 une Liz Sherman particulière agacée incendie les Grenouilles, les créatures souterraines et la Flame Noire à la fin de la mini-série le Roi de la Peur. Toutefois le mal sera fait, car Pope et les Grenouilles arrivent avant d'être éliminés à réveiller Katha-Hem, un nouvel Ogdru Hem gigantesque, qui provoque tremblements de Terre, nuages de gaz toxique et qui engendre des nuées de nouvelles créatures infernales sur tout le continent le pays. C'est l'ouverture de la seconde ère du B.P.R.D., un mouvement désespéré et post-apocalyptique appelé l'Enfer sur Terre, où les chances de l'humanité face aux hordes de créatures sanguinaires fait peu de doutes.

Nous voici arrivés en 2013, lorsque Mignola et Arcudi abandonnent le principe de mini-séries successives pour adopter le format d'ongoing avec B.P.R.D.: Hell on Earth qui démarre au numéro 103. Le nouveau statu quo est clair : l'humanité est foutue. Plus personne n'a de nouvelles de Londres, New York, Houston ou Seattle, et des monstres géants sillonnent l'Amérique, posant des oeufs sur leur passage. Inutiles de compter sur Hellboy : il est mort. Abe Sapien, blessé, quitte le Bureau à son tour. Les survivants se regroupent en petites poches de résistance, et le B.P.R.D. est désormais un groupe militaire qui fait son possible pour sauver les humains des attaques de monstres. Et bien malgré cela, on trouve encore quelques illuminés qui pensent pouvoir gagner du pouvoir dans ces circonstances, comme le nécromancien Gustav Strobl qui pense pouvoir devenir le prophète d'une nouvelle race d'hommes à la place d'Abe Sapien. Si vous avez suivi le fil conducteur Lovecraftien, vous pouvez imaginer comment cela se termine pour lui. Mais à l'inverse de Lovecraft qui est complètement misanthrope, Mignola et Arcudi aiment leur personnages. Depuis 2004, ils ont créé dans le rang du B.P.R.D. de nombreux agents, la plupart de simple humains sans destin glorieux ou pouvoir surnaturels, qui n'atteindront jamais la gloire de Hellboy, Liz ou Abe, mais qui donnent une étincelle d'espoir pour le genre humain dans leur monde apocalyptique. Kate Corrigan tente d'organiser le Bureau à travers le chaos, le timide Devon se découvre une âme de guerrier, la jeune maman Carla Giarocco est promise à une mort certaine, et l'agent Howard... l'agent Howard est une machine à tuer silencieuse. Sans ces agents ordinaires, difficile pour le lecteur de ne pas être anesthésié par les évènements, à l'image d'un personnage de Lovecraft déconnecté du réel par l'ampleur de ce qu'il perçoit. Ils représentent l'espoir que tout se termine bien au final, malgré tous les signes du contraire. C'est donc d'autant plus déchirant quand l'un d'eux tombe au combat sans crier gare. Car soyez prévenus : rien de garantit une fin heureuse. L'alliance avec leurs homologues Russes du S.S.S. et son directeur mort-vivant Iosif Nichayko, l'utilisation de reliques d'Hyperborée ou de l'armure à vril Epiméthée... Quoi que fasse le Bureau, ils ne font pas le poids fasse à la Flamme Noire, aux Kaiju géants et leurs vagues de rejetons. Personne ne sait comment tout cela se terminera.

Le Mignolaverse est fruit de l'union de nombreuses influences, sorte de rejeton bâtard issu d'une partouze entre Robert Howard, Edgar Alan Poe, Raymond Chandler et Edgar Rice Burroughs (avec une apparition de James Cameron en fin de soirée).  Mais une chose est claire : c'est Lovecraft qui reçoit chez lui à Providence. Il y a bien quelques tentacules ici ou là qui dépassent derrière les rideaux, mais Mignola a infusé dans son univers personnel l'essence même du maître, ce qui en fait encore aujourd'hui un incontournable de la littérature d'horreur. Cependant contrairement à Lovecraft qui laisse planer le mystère et laisse le lecteur dans l'ombre, Mignola décrit son univers comme il dessine, en utilisant l'ombre et le mystère pour mieux mettre en évidence ce qui est visible. En ne nous donnant pas immédiatement les clés de lecture, Mignola nous incite à revenir à chaque mini-série pour voir quelle partie de la tapisserie il va nous dévoiler cette fois-ci. Cela fait 20 ans que ça dure, et il a encore de nombreuses surprises dans son sac.

Posté par Leto le 08/12/2016

Ras le gosier

Depuis 2013, Marvel essaie de nous convaincre que nous aimons les Inhumains. D'abord via le crossover Inhumanity, avec la révélation d'Inhumains latents cachés dans la population humaine, révélés par le nuage de brume Terrigène largué par Flèche Noire. La Terre-616 doit avoir une sacrée circonférence, car en 2016 le nuage n'en a toujours pas fini son tour du monde. Cela fait donc 3 ans que Marvel s'obstine à nous gâver d'Inhumains pour notre bien : 4 séries par l'ubiquitaire Charles Soule (Inhuman, Uncanny Inhumans, All-New Inhumans, Inhumans: Attilan Rising), des team-ups à gogo dans toutes les séries, un rôle central dans Civil War II, le futur event IVX (Inhumans Vs X-Men), sans oublier les séries des nouveaux personnages périphériques comme Ms. Marvel ou Moon Girl & Devil Dinosaur. Comme le faisait remarquer Rich Johnson du site BleedingCool, le refus de Lunella Lafayette (Moon Girl) de sa transformation en Inhumaine reflète parfaitement le refus de ce statut imposé à ses scénaristes.

Et comme le gâvage de papier ne suffit pas, les Inhumains squattent aussi les version TV avec Agents of S.H.I.E.L.D, le dessin animé Marvel's Avengers Ultron Revolution, et probablement la future saison 2 de Jessica Jones. Ce martèlement marketting pouvait s'expliquer par les plans de Marvel Studios de sortir un film sur la famille royale en 2019. Mais comme le film Inhumans a été annulé, est-ce qu'on pourrait souffler un peu ?

Posté par Leto le 09/08/2016

Renaissance

Je fais partie de ces lecteurs que DC a perdu en cours de route depuis Flashpoint. L'event en lui-même, bien que longuet, proposait quelques bonnes idées (la guerre Atlantis/Themyscira par exemple), et aurait eu une autre place dans la mémoire des lecteurs s'il n'avait pas abouti au New 52. Car l'univers DC rebooté de 2011 a réussi a créer un vrai paradoxe, et pas du genre temporel : faire un appel d'air de lecteurs, tout en les faisant fuir. Avec Rebirth, le pari est de faire revenir les anciens lecteurs qui se sont détournés. Pari réussi ? Il faudra voir les chiffres sur la durée, mais pour ma part c'est gagné.

Revenons en 2011. Flashpoint s'annonce au départ comme un crossover habituel : monde alternatif, alliance de héros contre une menace commune, combat final et retour au status quo. DC en profite pour annoncer en mai 2011 une remise à zéro des compteurs sur toutes les séries pour le mois de septembre à la fin de l'histoire. Là encrore rien de neuf, l'effet à court terme des relaunches est connu depuis bien longtemps, que ce soit chez Marvel ou DC, et certaines séries sont arrivées à un nombre ridicule de volumes. Mais Flashpoint se distingue par sa refonte de la continuité DC en "soft reboot" : certains personnages gardent une part de leur historique (Batman et Green Lantern) tandis que d'autres sont recréés de toute pièce (Superman, Green Arrow...). L'annonce de ce nouveau "Crisis" plus de 25 ans après le fameux reboot de DC de 1985 est un évènement, et de nombreux lecteurs (dont moi) se jettent sur les #1 pour découvrir ce que sont devenus leurs héros. DC arrive en tête des ventes de septembre 2011 (8 places au top 10), et Justice League #1 est réimprimé quatre fois.

Malgré un excellent démarrage, les ventes retombent assez vite. L'essoufflement après un relaunch est un phénomène bien connu. L'effet "#1" marche généralement le temps de 2-3 épisodes (le temps des pré-commandes), puis les ventes reviennent au niveau d'avant la renumérotation. Mais dans le cas du New 52, j'ai surtout eu l'impression que les scénariste ont appri le reboot au dernier moment (voire en même temps que le public), qu'il n'y a eu aucune coordination entre les différentes séries, aucune règle commune... bref un plantage éditorial, une gesticulation dans l'urgence. J'ai bien tenté de m'accrocher pour laisser leur chance aux auteurs, mais j'ai baissé les bras par incompréhension devant certains massacres (les Titans, la JSA, Hawkman, Superman, Wildstorm...). J'ai bien essayé de reprendre le train en marche pendant Death of the Family, Trinity War, Forever Evil, Future's End, Convergence... A chaque #1, j'ai rejeté un oeil. J'ai surtout attendu en vain que DC admette son erreur et fasse marche arrière pour restaurer l'univers pré-Flashpoint.

Autant dire que j'étais plus que sceptique au moment de l'annonce de DC Universe Rebirth. Un relaunch de tous les titres au #1 après un event cosmique écrit par Geoff Johns et centré sur Flash ? Quel bonheur... Et au final quelle bonne surprise ! Johns, ex-scénariste dans les années 2000 de la JSA et de Superman: Secret Origin, semble y reconnaître l'erreur du reboot de 2011 et faire du pied aux lecteurs déçus par le New 52. Plus question d'effacer la continuité, la nouvelle formule permet, par le truchement de nouveaux pseudo-mystères semi-intéressants, de garder le meilleur des mondes et de fusionner les univers pré et post-Flashpoint (là ou Convergence avait échoué). Les grands gagnants de cette remise à plat sont Wonder Woman, Superman et Nightwing. Pour Dick, c'est la fin de l'exil imposé depuis Forever Evil, il peut enfin revenir dans la Bat-Family. Et les fans de Diana vont retrouver la Wonder Woman telle que décrite par George Perez, sans effacer totalement la période Azzarello.

DC Rebirth a donc bien réussi sa mission : réconcilier le lecteur avec la maison DC. Il est encore trop tôt pour savoir si les lecteurs vont rester au delà des premiers épisodes. Mais la qualité est au rendez-vous, et pour ma part je compte rester voir ce que vont écrire Christopher Priest, Sam Humphries, Peter Tomasi et Tom King.

Posté par Leto le 07/08/2016

Les Français dans les comics

Les Français ont une histoire compliquée avec les comics. Dans les années 50-60, certains y voient une forme d'impérialisme américain d'Après-Guerre qui viendrait mettre en péril l'exception culturelle française, déjà mise à mal par le rock n' roll et le Coca-Cola. D'autres (ou sont-ce les mêmes ?) y voient un medium violent et  corrupteur de nos chères têtes blondes. Jean-Paul Sartre par exemple a publié en 1955, dans sa revue Les temps modernes, des passages de Séduction de l'innocent, le livre à charge du psychiatre Fredric Wertham. Le festival Lyon BD est d'ailleurs revenu cette année sur cette période de "caviardage" chez l'éditeur LUG et la censure de Fantask et Strange. De l'autre côté du spectre, on trouve des amoureux du genre, comme Jean-Yves Mitton qui a écrit et dessiné Mikros dans la revue Titans (toujours chez LUG), ou les cinglés d'Organic Comix qui réalisent des performances kirbyesques depuis 1990.

 

Mais qu'en est-il de la représentation des Français dans les comics ? A l'approche de notre "Bastille Day", jetons un œil à notre image outre-Atlantique. Disons-le tout de suite : ce n'est pas toujours bien flatteur.

 

Alors oui, certes, il y a quelques personnages héroïques. Crimson Fox par exemple (créée par Keith Giffen) a fait partie de la Justice League Europe, et sera un personnage majeur de la série TV humoristique Powerless. Les deux sœurs (parfumeuses parisiennes du nom d'Aramis) qui se partagent le costume ont cependant mal fini, l'une tuée par Maurice Puanteur (sorte de mix culturel entre Maurice Chevalier et Pépé le Putois), l'autre par The Mist dans la série Starman. Plus récemment, DC a annoncé en grande pompe l'intégration de Nightrunner à l'initiative Batman Inc. de Grant Morrison. David Hine, son créateur, a pour une fois évité les clichés français à base de baguette, de Tour Eiffel et d'accordéon. Bilal Asselah est d'origine algérienne, musulman, et adepte de parkour à Clichy-sous-bois.

 

Côté Marvel, on préfère les personnages français plus classiques : le Faucon Pélerin (alias Alain Racine) a été créé pour le premier Tournoi des Champions, et n'a que peu resservi jusqu'au premier Civil War. Détail amusant : il est réapparu cette année dans la série Scarlet Witch... en parallèle des séries Contest of Champions vol.2 et Civil War II. Ce nouveau Tournoi des Champions a aussi vu la création d'une nouvelle héroïne Française : Guillotine (Jeannine Sauvage), détentrice d'une épée maudite (la Fleur du mal) qui se transmet de génération en génération depuis 1793. Ah Baudelaire et la Révolution Française, on a failli éviter un cliché.

Voilà qui couvre à peu près les héros Français. 4 personnages chez les Big Two (en ne comptant pas Monet St Croix des X-Men qui est mi-Monesgasque mi-Algérienne, et Frenchie l'allié de Moon Knight qu'on ne peut pas qualifier de super-héros). Les autres Français ? Comme le veut la tradition américaine, ce sont des lâches, des arrogants ou des criminels.

Chez DC, on retrouve le Cerveau et Monsieur Mallah (le gorille), vilains idiots et incapables,  ennemis de la Doom Patrol. Leur efficacité approche celle de Wil E. Coyote dans la chasse au Roadrunner. En face chez Marvel, Batroc le Sauteur est carrément une insulte vivante : Gwen Poole nous explique que son nom a pour origine "Batracien", terme faisant référence au surnom peu affectueux de "grenouille" que les anglos-saxons nous réservent. Heureusement que quelques vilains français remontent un peu le niveau : Henri Ducard a formé Batman dans ses jeunes années, tout comme Swordsman (Jaques Duquesnes) a formé Hawkeye. Mais ces Français compétents sont absents depuis bien longtemps. La Gargouille Grise (Paul Duval) a bien ravagé Paris durant le crossover Fear Itself, mais Odin a ensuite retransformé les parisiens changés en pierre par la Gargouille. Notez cette ubiquité de moustache chez tous ces vilains (hormis le gorille)...
  
Voici résumés 75 ans d'amour franco-américain, sur un air de "Je t'aime, moi non plus". J'en ai sûrement raté, mais à quelques exceptions près le panorama est à peu près le même. Si vous pensez à des contre-exemples, les commentaires sont ouverts !

Posté par Leto le 10/07/2016