Des comics aux noix enrichies

Le calendrier cinéma de cette année est assez révélateur de ce qui sépare les comics des Big Two de nos jours. Comme pour les events et autres crosssovers papier, on peut voir se dégager des stratégie identiques, mais déclinées de manières très différentes. Au final Marvel et DC se livrent toujours la même vieille guerre, mais avec chacun une philosophie diamétralement opposée.

Pour mieux comprendre ce qui différencie les comics des deux éditeurs, regardons ce qui se passe côté cinéma. Malgré une plus grande expérience d'Hollywood pour DC/Warner avec le Superman de Richard Donner (1978) et le Batman de Tim Burton (1989), DC rame aujourd'hui pour rattraper son retard sur la machine à dollars de Disney/Marvel et son univers cinématrophique partagé. On assiste donc à la même course à l'échalotte qu'en comics : DC a grillé Marvel avec son Batman versus Superman sur le thème des guerres civiles entre plein de héros, la Fox a sorti son film interdit aux mineurs (Deadpool) avant que la Suicide Squad n'ait le temps de marquer une époque, DC sprinte pour adapter son Darkseid avant que Thanos débarque avec ses gemmes de pouvoir...  Toute ressemblance avec des évènements en comics est voulue. Pourtant la vision derrière ces adaptation diffère énormement de Disney à Warner. Marvel Studio tente de garder une pointe d'humour dans ses productions malgré des thèmes qui peuvent être pesants, tandis que DC se vautre dans le "Grim and Gritty" des années 90 avec des héros meurtriers. Quand DC sort Man of Steel en 2013 (qui reprend grosso modo le Superman II de Donner de 1980), Marvel adapte l'année suivante les Gardiens de la Galaxie de Abnett et Lanning (2008). Quand DC adapte le Dark Knigh Returns de Miller (1986) dans son Batman versus Superman, Marvel adapte le Civil War de Millar de 2006... C'est comme si DC était resté coincé dans une autre époque.

Civil War/BvS

Ce schisme temporel se retrouve aussi côté BD. Comme évoqué dans l'article sur Convergence et Secret Wars, on voit que Marvel se permet certaines folies créatrices tandis que DC se cherche une identité dans son passé. L'initiative du reboot de l'univers DC était pourtant audacieuse, avec une grande toile blanche pour recréer un nouvel univers tout neuf. Après 5 ans, le bilan est pourtant plus que mitigé : au final les auteurs ont passé plus de temps à re-raconter les grands moments du passé pour les ré-officialiser qu'à en créer de nouveaux. Tout l'univers DC souffre d'une schyzophrénie massive, entre la justification du nouvel univers et la tentation de repêcher les version antérieures des personnages bien-aimés. Ce phénomène est d'autant plus flagrant ces derniers mois avec la série Superman: Lois and Clark qui pérennise la version pré-flashpoint de Superman dans l'univers du New 52. Et cela ne devrait pas s'arranger avec l'arrivée imminente de Rebirth, dont le seul but est de recréer la JSA post-Zero Hour sans annihiler celle de la Terre 2.

Pendant ce temps, Marvel a dépoussiéré des personnages qui n'intéressaient plus personne avant (Hawkeye, Moon Knight, Squirrel Girl, la Vision, Ant-Man, Hellcat...) et créé de nouveaux héros pour une nouvelle génération (Ms. Marvel, Robbie Reyes en Ghost Rider, Sam Alexander en Nova). Je prends personnellement un panard monstrueux à la lecture de series comme Ms. Marvel, Weirworld ou The Unbeatable Squirrel Girl. The Unbeatable Squirrel Girl par exemple est une série drôle, pleine d'humanité, voire même parfois instructive (les cours de gestion de base de données SQL en marge des planches sont étonnament ludiques). Je n'aimais pas spécialement le personnage auparavant, que ce soit dans sa période Dan Slott en tant que Vengeur des Grands Lacs ou dans sa période New Avengers de Bendis en nounou du couple Luke Cage/Jessica Jones, mais j'ai depuis changé d'avis. Il y a de vraies trouvailles scénaristiques dans ce comics de Ryan North et Erica Henderson, comme le prochain épisode raconté façon "livre dont vous êtes le héros", ou le Kra-Van, la camionnette de Kraven le Chasseur. Et puis combien de séries peuvent se vanter d'avoir eu deux épisodes #1 sur deux volumes différents la même année ? Doreen Green, a.k.a Squirrel Girl, vient pour botter des culs et manger des noisettes, et elle a mangé toutes ses noisettes ! Tippy-Toe l'écureuil et elle font tout ce que sait faire un écureuil (à chanter sur l'air de Spider-Man). Normal pour Tippy-Toe cela-dit, c'est un écureuil.

Eats nuts kicks buttsWeirdworld par Sam Humphries et Mike Del Mundo est aussi une série dépaysante et pleine d'aventure, en plus d'être magnifiquement illustrée. Quel plaisir de suivre la quête de Becca la Terrienne et de Goleta la pourfendeuse de sorcier face aux hommes-lave de Morgane LeFey. Ou de voir Jane Foster quitter temporairement son corps rongé par le cancer pour remettre Odin à sa place à coup de marteau dans les Mighty Thor de Jason Aaron et Russel Dauterman.

Et si, au final, le problème venait du casting d'auteurs ? Les séries citées précedemment sont écrites par une génération assez jeune : North a 35 ans, Humphries en a 39, Aaron en a 43... Tandis que côté DC ces dernières années nous avons eu le droit à des séries comme Doctor Fate par Paul Levitz (60 ans), Green Arrow par Dan Jurgens (57 ans), Superman par Keith Giffen (63 ans)... Malgré tout le respect que j'ai pour le travail de titan effectué par Jurgens et Giffen pour donner un peu de cohérence aux séries de leurs collègues, on ne peut pas les qualifier de jeunes premiers. Ceci expliquerait peut-être cette tentation nostalgique que transpire de la production DC actuelle, cette volonté devant un énième reboot de l'univers de revenir vers les bases d'un travail déjà fait X fois par ces même scénaristes au moment de Crisis ou de Zero Hour, ou alors un replis vers un mode d'écriture retro mais rassurant comme une madeleine de Proust.

Toujours est-il qu'il existe bien un écart philosophique de 20 ans entre Marvel et DC, que ce soit dans les comics ou au cinéma. On verra bien si David Ayer, réalisateur de Suicide Squad, arrive a lifter l'équipe dont la composition date de la série d'Ostrander en 1987. Mais ce qui compte ce n'est pas l'âge du comics adapté (cf. Captain America, Thor ou Iron Man) mais bien la génération dans laquelle on veut l'adapter. Snyder est resté bloqué en 1993, année de la mort Superman et de remplacement de Batman par Azrael. Espérons qu'Ayer se laissera inspirer par la New Suicide Squad, un peu plus moderne et en phase avec les jeunes générations habituées aux jeux vidéos Arkham Asylum du studio Rocksteady.

Posté par Leto le 24/04/2016