Doctor Doom : Infamous

Chronique écrite pour l'émission Aleph sur la Radio666

Sans antagoniste d'envergure, impossible de créer un chef d'oeuvre. Dark Vador, Dracula, le Fantôme de l'Opéra, Voldemort, Wile E. Coyote... Une bonne histoire, c'est avant tout un bon méchant. Et l'Histoire de Marvel est irrémédiablement liée à celle des Quatre Fantastiques. Et si Marvel devait tout à la Nemesis des FF ? Et si la pierre angulaire du comics moderne n'était autre que l'ennemi qui relie à travers les époques les Fantastiques, les Vengeurs, les X-Men et Squirrel Girl ? S'il est bien un personnage - que dis-je, un symbole - qui mérite un peu d'amour, c'est bien le plus héroïque de tous les vilains, celui qui se situe à la croisée des chemins, entre la magie et la science, entre la noblesse et la vulgarité, entre la folie et le génie : le Docteur Fatalis.

Dr Doom

Pour le numéro 5 de Fantastic Four (1962), Stan Lee et Jack Kirby créent un vilain qui deviendra l'un des méchants les plus iconiques de l'univers Marvel. Le Docteur Fatalis, ancienne connaissance de Reed Richards à la fac, kidnappe Susan Storm et force les FF à récupérer des gemmes de pouvoir de Merlin au temps des pirates, grâce à sa machine à remonter le temps. Stan Lee choisit le nom de Docteur Fatalis, ou Doom en V.O, un mot que l'on peut traduire par "destin macabre", et qui sonne comme une explosion sourde ou un coup massif sur un tambour de guerre. Un nom "éloquent de simplicité mais magnifique dans sa menace sous-jacente" selon Lee. Kirby le dessine en version métallique de la Mort, avec un masque grimaçant et un capuchon. Les origines sont encores floues, et ne seront développées qu'ensuite et par pointillés, d'abord 2 ans plus tard par Lee et Kirby dans le second Annual de la série, puis par John Byrne dans FF #278 (1985), par Roger Stern dans Marvel Graphic Novel #49 (1989) et Ed Brubaker dans Books of Doom (2006).

Victor est né en Latvérie, un pays pauvre d'Europe de l'Est. Sa mère Cynthia était une sorcière gitane Zefiro, son père Werner un guérisseur. Tous les deux meurent alors que Victor est encore un enfant. Werner, poursuivi par la milice locale, meurt de froid dans la campagne Latvérienne en protégeant Victor de son corps, tandis que sa mère se retrouve damnée en enfer après une transaction avec Mephisto. Victor se jure alors de les venger, et pour cela, il doit devenir plus puissant que ses adversaires : le roi Vladimir Fortunov responsable de la mort de son père et le diable lui-même. Jeune scientifique brillant, il part étudier en Amérique, où son chemin croise celui de Reed Richards et Ben Grimm. Déjà versé dans les rites Zefiro, Victor utilise les laboratoires universitaires pour construire une machine mêlant science et magie, dans le but de sauver l'âme sa mère. Victor est déjà très arrogant, et il ignore les alertes de Reed à ses dépends. La machine explose, le défigurant gravement et provoquant son expulsion de l'université. Dans un accès de rage, Victor rend Reed responsable de tous ses maux, l'accusant du sabotage de la machine.

Amer, humilié et défiguré, Victor Von Doom fuit et cherche un autre moyen d'avoir sa vengeance. Il finit dans un monastère tibétain où il complète sa formation magique. Dans certains univers parallèles de Marvel (comme la terre 938), il devient même le Sorcier Suprême. Avec l'aide des moines mystiques, il forge une armure de métal digne de celle d'Iron Man et protégée par de puissants sortilèges. Il y a une controverse qui dure depuis des années autour du visage de Doom : selon certains, l'explosion de sa machine ne l'aurait pas défiguré, et sa propre perception de sa laideur était avant tout psychologique, jusqu'au moment où il appliqua son masque métallique encore rougeoyant sur sa face, brûlant définitivement ses traits. Quoi qu'il en soit, Victor s'enferme dans son armure et le masque de fer devient son nouveau visage, symbole de sa rage et de sa nouvelle vie en quête de pouvoir.

Doom au Tibet

Très vite grâce à sa nouvelle armure, Victor dépose le roi Vladimir et se proclame roi de Latvérie. Son père est vengé rapidement, et faute de pouvoir attaquer le diable frontalement, il se tourne vers l'humain suivant : Reed Richards, désormais leader des Quatre Fantastiques. C'est le début d'une rivalité qui dure depuis 50 ans, au cours de laquelle un certain respect mutuel s'installe. Car même s'ils se détestent, les deux hommes sont bien obligés de reconnaître le génie de l'autre, à tel point que Richards en viendra à lui confier sa fille Valeria, nommée en honneur de l'amour de jeunesse de Victor. Si ça ce n'est pas de la bromance...

Il serait trop long de retracer tous les affrontements entre les FF et Doom, le docteur étant partout dans l'histoire de Marvel. Le vilain est à la famille ce que le Joker est à Batman, ce que Lex Luthor est à Superman, ou ce que Magneto est au X-Men. A tel point que toutes les adaptations cinéma des FF sans exception, de Roger Corman à Josh Trank en passant par Tim Story, tournent autour de Doom. Malheureusement, la majorité des auteurs ne voient en lui qu'une figure grand-guignolesque sans comprendre la profondeur de l'homme derrière le masque. En y regardant d'un peu plus près, on peut voir émerger des failles dans l'armure avec des thèmes récurrents. Dans FF #57, il siphonne les pouvoirs cosmiques du Surfeur d'Argent pour disposer de la puissance nécessaire à battre les FF. Il est battu lorsqu'il perd bêtement ce pouvoir... par étourderie. Durant les Guerres Secrètes de 1985, Victor finit avec les pouvoirs du Beyonder. Alors tout puissant, il est battu... par son propre subconscient. Dans Marvel Graphic Novel #27 (1987), Doom devient l'empereur de toute la Terre grâce au pouvoir de l'Homme Pourpre, et abandonne le titre... par ennui. Dans Secret Wars (2015), il perd ses pouvoirs divins... en admettant que Richards les mérite davantage.

En introduction, je vous parlais des grands méchants qui font une saga. A ce stade, pas la peine je pense d'expliquer le lien avec Dark Vador, Voldemort ou le Fantôme de l'Opéra. Doom, comme Dracula, vit dans son château, craint de ses sujets, et absorbe l'énergie des malheureux qui s'aventurent dans son antre protégée de sorts noirs. Toutefois ses plans ont tendance à se terminer comme ceux du Coyote. Oh il a beau dire qu'il veut imposer la paix et la prospérité au monde entier, qu'il le veuille ou non, au final on sent qu'il ne cherche pas vraiment à l'attraper ce Roadrunner, et insconsciemment ses plans tarabiscotés ne sont pas faits pour réussir... Souvent cela se termine par un air déconfit et une énième explosion dans le lointain.

Mais attention, Victor Von Doom n'en est pourtant pas pour autant un vilain ridicule comme Batroc ou l'Homme Taupe. Malgré ses échecs répétés, c'est une terreur. Lorsque les méchants Thunderbolts de Jeff Parker, pourtant pas la bande à Jojo le Rigolo, sont projetés à l'ère Pliocène et sauvent un type à poil de requins Megalodons qui allaient en faire leur goûter, que ce type s'avère être un Victor Von Doom démuni, leur premier réflexe est de se dire "Oh merde !". Doom est un scientifique génial et un maître des arcanes, capable de mener des armées de zombies contre Camelot et Iron Man dans Doomquest (1981), d'affronter des Célestes (FF, 2012), avec une volonté capable de tenir la Cabale de Loki et Norman Osborn en respect (Dark Avengers, 2009) et de recréer le multivers (Secret Wars, 2015). C'est aussi un homme torturé par son passé, au destin maudit et à l'amour meurtri, qui cherche à donner au peuple Latvérien et au monde la sécurité et la prospérité qui lui ont été refusées dans son enfance. Dans l'utopie qu'il s'est créé en 2015, il s'est avant tout entouré d'une famille et d'amis, dévoilant un petit coeur qui bat sous cette carapace de métal.

Son nouvel échec comme Dieu vivant (relatif, il a quand même sauvé le multivers de l'implosion), a récemment poussé Victor Von Doom a réaliser que le pouvoir en soit n'est pas ce qu'il recherche au final. A l'issue de Civil War II, il se lance dans une nouvelle carrière : être le nouvel Iron Man. Dans cette série lancée à l'arrêt International Iron Man, Brian Bendis et Alex Maleev font le lien entre le présent de Marvel et les origines de Doom. A l'heure actuelle seuls 4 épisodes sont sortis aux U.S, et comme dans tout comics de Bendis l'intrigue avance lentement. Il nous faudra encore attendre quelques mois pour voir où se dirige ce nouveau Victor Von Doom, désormais héros de son plein gré.

Infamous Iron Man #1

Posté par Leto le 04/02/2017